jeudi 28 mai 2015

Platon l'Imbrisable




   Régulièrement, de nouvelles traductions apparaissent sous des cris de joie qui fusent de partout : "Hosannah ! Alléluia ! Prouti-prouta ! Enfin une traduction fidèle, avec l'esprit et le souffle de l'original !" Pessoa qui est très influençable se jette sur son néo-Dostoïevski, sur son néo-Platon, la bave aux lèvres et aux pores de l'âme. Présentement, je veux dire quelques mots sur Luc Brisson, spécialiste mondialement connu de Platon, qui renouvelle avec autorité la lecture du divin philosophe. Alors un petit jeu : parmi les deux traductions suivantes, laquelle est de Luc Brisson, laquelle est de Paul Vicaire ? A vos cortex, à vos mirettes !
 
 
 
VERSION A
 
   APOLLODORE - J'estime n'être pas trop mal préparé à vous raconter ce que vous avez envie de savoir. L'autre jour en effet, je venais de Phalère, qui est mon dème, et je montais vers la ville. Alors un homme que je connaissais et qui marchait derrière moi m'aperçut, et se mit à m'appeler de loin, sur le ton de la plaisanterie.
   GLAUCON - Hé ! l'homme de Phalère, toi Apollodore, tu ne veux pas m'attendre !
   APOLLODORE - Et moi de m'arrêter pour l'attendre. Et lui de reprendre :
   GLAUCON - Apollodore, dit-il, justement je cherchais à te rencontrer, pour connaître tous les détails concernant l'événement qui réunit Agathon, Socrate, Alcibiade et les autres qui avec eux prirent alors part au banquet, et quels discours ils tinrent sur le thème de l'amour. Quelqu'un d'autre, en effet, m'en a fait un récit qu'il tenait de Phénix, le fils de Philippe, et il m'a dit que toi aussi tu étais au courant. Mais lui, malheureusement, il ne pouvait rien dire de précis. Fais-moi donc ce récit, car nul n'est plus autorisé que toi pour rapporter les propos de ton ami.
 
 
 
VERSION B
 
   APOLLODORE : Je crois être assez bien préparé à satisfaire votre curiosité. L'autre jour en effet, je venais de chez moi, à Phalère, et montais vers la ville, quand un homme de ma connaissance, derrière moi, m'aperçut et de loin m'appela en plaisantant : "Hé, dit-il, l'homme de Phalère ! hé, toi, Apollodore ! tu ne veux pas m'attendre ? " Je fis halte et l'attendis. Il reprit : "Apollodore, je te cherchais justement tout à l'heure. Je voulais te questionner sur l'entretien d'Agathon, de Socrate, d'Alcibiade et des autres personnages qui assistèrent avec eux au banquet, et savoir quel discours on y tenait sur l'amour. Un autre me l'a raconté, qui l'avait appris de Phénix, le fils de Philippe ; il m'a déclaré que tu étais au courant toi aussi, mais lui, malheureusement, ne pouvait rien dire de précis. Aussi, je t'en prie, raconte : tu as plus de droits que personne à rapporter les discours de ton compagnon."
 
 
 
 
 
 
   Je lisais donc la version de Luc Brisson avec beaucoup, beaucoup d'attente ! Et au fur et à mesure de ma lecture, je me disais : "Mince ! Dans mes souvenirs, Le Banquet était un dialogue beaucoup plus beau que ça ! Le style était fluide, il était... attique !" Du coup je repris la traduction que je possédais déjà... Et patatras... Je retrouvais l'enchantement stylistique de jadis. Et vous ? Partagez-vous ma réaction ? Avez-vous deviné que la version A est celle de Luc Brisson, la nouvelle traduction tant vantée ? Et ne trouvez-vous pas, comme moi, qu'elle est moins fluide et moins légère ?
   J'avais traversé la même épreuve en lisant Le Joueur traduit par Markowicz : après avoir relu tout le livre, je me dis : "Mince ! Dans mes souvenirs, c'était un livre bien plus prenant et gouleyant que ça !" Et consultant une ancienne traduction, je compris ma relative désillusion !...
 
 
 
   Traduire, c'est trahir, disait dj.Paronomase. N'empêche que j'éprouve de la tendresse pour certaines trahisons particulièrement réussies ! Comme celles de Paul Vicaire, oui. Voilà pour aujourd'hui, chères transwebbeuses, surfonautes chéris.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 



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Qu'enfin quelqu'un me quelque parte :