lundi 3 décembre 2012

De Profondis



 
" Quand que je ne pédale, qu'est-ce que je me démentale! "
 
 
 
      Voici un petit texte que m'a confié Herr Robert Niemand, un tout jeune coureur cycliste qui nous vient de Prusse. Il s'agit d'un hommage à un seigneur du vélocipède, qui sévissait au dix-neuvième : un certain l'Oscar. Un brin d'émotion m'a chatouillé l'auréole dans les quelques lignes qui suivent, et je me demande bien si vous partagerez mon chatouillis, chers internautes en cavale.


 
     Je pense à toi, l'Oscar, qui revins de l'enfer. Comme un soir en vélo, tu nous en fis récit. La vie te l'avait mis de profundis ! Et tes amants de même, et la perfide Albion itou : méchants ! Pour faire dérailler le vilain sort, tu écrivis à l'arrache-coeur ce témoignage (tourner le guidon par ici). Toi qui croupissais dans ta geôle touffeuse, humilié par l'élite même qui t'avait déifié, tu alternas les phrases d'écolier capricieux et les fusées profondes. Bizarre écrit, mon cher bicylettiste, que ce "De Profundis". Bizarre randonnée que cette ultime Ballade. Ta patrie pudibonde massacra bien d'autres invertis et elle en massacrerait bien d'autres : il me souvient ainsi de l'immense Turing et de sa mort sublime, lui qui s'immola par croquage de pomme... après l'avoir enduite de cyanure (tourner le guidon par là).
      Je pense à toi, l'Oscar, et je pleure en lisant ton essorage de coeur. Je te reconnais et je ne te reconnais plus dans ces répétitions alambiquées et ces plaintes infantiles ! Telle une épicière limaçante, tu pleurniches longuement devant la mesquinerie et la cruauté de ton amant... Et tout à coup, ta pensée s'élève et circonscrit toute l'humanité d'un axiome terrible et définitif.
      J'aime ta sentence altière, l'Oscar : "Le vice suprême est la superficialité". Extirpons - en rêve - ce vice du coeur humain : comment tous ces à-peu-près d'êtres que nous sommes, absorbés par une profondeur sans fin, pourraient ils continuer de vaquer à leurs futilités  et à leurs turpitudes ? Comment ne pourraient-ils pas, comme toi, hausser les épaules devant les façades grotesques de leur à-peu-près de vie pour enfourcher le saint vélo et se ruer sur les terres vraies ?
     Qu'il aime la bicyclette, comme toi, sans selle, ou qu'il la pratique comme Marcel, avec chauffeur, comment notre coureur tout neuf  pourrait-il éviter le poids de la conscience et l'appel monstrueux de l'éthique ? Plus simplement, comment pourrait-il quitter son lit, dévoré par la pensée de la mort et du néant, assoiffé de sens et de valeurs ?
       Je pense à toi l'Oscar, monstre d'humain perdu dans une espèce inhumaine. Ta profondeur te condamna, l'homme superficiel t'éxecuta. Je pense à toi, moi qui comme tous mes semblables, me contente de sembler en toute médiocrité.
      De profundis mon pote.
 
 
 
     Robert Niemand - Wildemann (Basse-Saxe) - Novembre 2012
 
 
 
 C'est à qui d'empédaler ? Et c'est à qui d'empaler ?
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

3 commentaires:

  1. Danke schön, Herr Pessoa.
    C'est une agréable surprise de voir babiole mienne publiée sur blog si paradoxal.

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  2. Dave Brubeck n'est plus. Son âme, dans cette ultime ascension vers les sommets de l'Olympe, enroule du braquet en danseuse sur son piano ou chevauchant la queue immense de son instrument. Relayé par Oscar Niemeyer, « l'architecte de la sensualité [sic] », dans cette course « gentlemen », les deux coéquipiers se ruent vers l'éternité.

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  3. Für R. Niemand :
    ce fut un plaisir de te surprendre.

    For theSerGenT :
    mince mon pote, c'est comme ça que tu m'apprends une si choquante nouvelle, la fin de l'ami Brubeck ! Quant à Niemeyer, la dernière fois que je l'avais vu, engoncé dans son fauteuil et son centenaire, en effet, je me disais que passer à une condition autre serait à la fois bon et imminent.
    En tout cas merci pour ce petit mot. Peut-être me fendrai-je d'un hommage paradoxal au génial pianiste ? Réponse dans les cent années à venir.

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Qu'enfin quelqu'un me quelque parte :