Hamlet et crâne - Henry Courtney Selous
Être ou ne pas être ? Ni
l'un ni l'autre !
Imagine-toi un jeune
homme, torturé, désespéré, tellement désespéré qu'il en vient
à prendre un pistolet, il emplit le chargeur de balles, il enfonce
le chargeur dans l'arme, il place le canon dans sa bouche, le voici
prêt à tirer. S'il appuie sur la gâchette, un percuteur reculera puis reviendra
exploser la charge de la première balle, la douille sera éjectée, l'ogive sera expulsée à grande vitesse hors
du canon, à travers sa gorge, à travers une vertèbre cervicale,
pour ressortir en une fraction de seconde par l'occiput. Triomphe de la technique, émouvante efficacité. Le jeune
homme hésite une dernière fois... S'attend-on à ce qu'il dise
quelque chose d'aussi alambiqué que... « Être ou ne pas être,
telle est la question ? » ? Sérieusement, un jeune homme réel
dirait-il quelque chose d'approchant ? N'y a t-il pas une touche à
la fois abstraite et snob dans cette question qu'on imagine mal comme
les derniers mots d'un suicidaire !
Gérald Robitaille (traducteur
de Henry Miller) a su rendre la force de la réplique shakesperienne
par cette réplique osée, peut-être, mais ô combien talentueuse : «
Vivre ou mourir ? Tout est là ! » Avec ces mots, je l'imagine bien
mon Hamlet désespéré, le flingue dans la bouche et le crâne dans
la main, prêt à tirer pour fuir une existence
impossible. Peut-être n'es-tu convaincu, sagace internaute... Ne
m'en veuille donc pas de rester non seulement convaincu, mais ébloui par
cette traduction.
Et euh nan, cette
réponse « Ni l'un ni l'autre ! » n'est pas due à quelque version
inédite de Shakespeare. C'est le joyeux Cioran qui a confectionné
cette réponse. De sa part, je conçois une facétie mi philosophe,
mi stylistique, comme à son habitude. Mais j'aime relire cette
réponse comme une profonde charge métaphysique : alors je m'y
retrouve, je m'y mire, car la tristesse d'être au monde de Pessoa
est là ! Subir une condition (en dehors même de toute considération
anthropomorphe) : quelle horreur ! Anéantir une condition : quelle
horreur ! Pessoa doit choisir une autre voie : Cioran a résumé sa
position en six mots, bravo !
Tout Cioran : pour rire pendant ses insomnies
Je vois que de prolixes billets d'humeurs nous rappellent un tant soi peu la vanité de ce (ou de ceux) qui nous entoure(nt).DJ Pessoa éveille les consciences. Desperta nos Homen Grande.
RépondreSupprimerMoultes remerciades, ami haut gradé ! C'est toujours un plaisir de lire ta prose à la gouaille flatteuse.
RépondreSupprimeralors enfin, tu "moultois" aussi...mmmmmmmmmmmmmm
RépondreSupprimerUne déformation linguistique de ma nouvelle patrie, sans doute.
RépondreSupprimerC'est beau, ce texte, on répare un Hamlet sans en recoller deux !
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