dimanche 16 septembre 2012

Etre ou ne pas être

Hamlet et crâne - Henry Courtney Selous
 
 
 
Être ou ne pas être ? Ni l'un ni l'autre !



      Imagine-toi un jeune homme, torturé, désespéré, tellement désespéré qu'il en vient à prendre un pistolet, il emplit le chargeur de balles, il enfonce le chargeur dans l'arme, il place le canon dans sa bouche, le voici prêt à tirer. S'il appuie sur la gâchette, un percuteur reculera puis reviendra exploser la charge de la première balle, la douille sera éjectée, l'ogive sera expulsée à grande vitesse hors du canon, à travers sa gorge, à travers une vertèbre cervicale, pour ressortir en une fraction de seconde par l'occiput. Triomphe de la technique, émouvante efficacité. Le jeune homme hésite une dernière fois... S'attend-on à ce qu'il dise quelque chose d'aussi alambiqué que... « Être ou ne pas être, telle est la question ? » ? Sérieusement, un jeune homme réel dirait-il quelque chose d'approchant ? N'y a t-il pas une touche à la fois abstraite et snob dans cette question qu'on imagine mal comme les derniers mots d'un suicidaire !

     Gérald Robitaille (traducteur de Henry Miller) a su rendre la force de la réplique shakesperienne par cette réplique osée, peut-être, mais ô combien talentueuse : « Vivre ou mourir ? Tout est là ! » Avec ces mots, je l'imagine bien mon Hamlet désespéré, le flingue dans la bouche et le crâne dans la main, prêt à tirer pour fuir une existence impossible. Peut-être n'es-tu convaincu, sagace internaute... Ne m'en veuille donc pas de rester non seulement convaincu, mais ébloui par cette traduction.

     Et euh nan, cette réponse « Ni l'un ni l'autre ! » n'est pas due à quelque version inédite de Shakespeare. C'est le joyeux Cioran qui a confectionné cette réponse. De sa part, je conçois une facétie mi philosophe, mi stylistique, comme à son habitude. Mais j'aime relire cette réponse comme une profonde charge métaphysique : alors je m'y retrouve, je m'y mire, car la tristesse d'être au monde de Pessoa est là ! Subir une condition (en dehors même de toute considération anthropomorphe) : quelle horreur ! Anéantir une condition : quelle horreur ! Pessoa doit choisir une autre voie : Cioran a résumé sa position en six mots, bravo !
 
 
 
Tout Cioran : pour rire pendant ses insomnies
 
 
 
 
 

5 commentaires:

  1. Je vois que de prolixes billets d'humeurs nous rappellent un tant soi peu la vanité de ce (ou de ceux) qui nous entoure(nt).DJ Pessoa éveille les consciences. Desperta nos Homen Grande.

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  2. Moultes remerciades, ami haut gradé ! C'est toujours un plaisir de lire ta prose à la gouaille flatteuse.

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  3. alors enfin, tu "moultois" aussi...mmmmmmmmmmmmmm

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  4. Une déformation linguistique de ma nouvelle patrie, sans doute.

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  5. C'est beau, ce texte, on répare un Hamlet sans en recoller deux !

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Qu'enfin quelqu'un me quelque parte :